Rejet de greffe
Vous êtes coach, vous êtes manager, vous êtes facilitateur. Vous arrivez dans une nouvelle organisation. Vous vivez quelques rendez-vous de travail avec un groupe de personnes. Ils vous posent des questions, vous y répondez. Vous tentez de co-construire quelque chose ensemble. Et très rapidement vous avez la sensation de leur “parler chinois”. En plus d’une incompréhension mutuelle, vous commencez à percevoir des signes de résistance, voire un rejet quasi immédiat.
Les organisations sont des systèmes humains complexes. Il y a bien des facteurs qui peuvent expliquer un rejet. Parmi les différentes hypothèses possibles, il y en a une que j’ai eu envie de récemment développer : vous utilisez probablement un mode de pensées, du vocabulaire inadéquat à l’environnement dans lequel vous venez d’atterrir.
J’ai vécu récemment ce genre de situation. Et j’y ai vu une occasion de me replonger dans le modèle de la Spirale dynamique dont j’avais de nombreuses fois entendu parler. Je me suis fixée une semaine d’étude, du 27 décembre au 1er janvier, avec pour finalité la construction d’une grille de lecture : en entrée des observations et en sortie des pistes d’actions à mener en fonction des environnements rencontrés.
Un bref résumé du modèle de la Spirale dynamique
Clare Graves était professeur de psychologie aux Etats Unis dans les années 50. Ses élèves à qui il apprenait les théories phsychologiques existantes (Freud, Maslow, Jung, Rogers...) lui demandaient régulièrement quelle théorie était la plus exacte. Clare Graves, pour répondre à cette question, s’est mis à faire des recherches et à modéliser sa compréhension de l’évolution du psyché humain et de la maturité psychologique.
Par ce modèle, il montre que l’être humain a développé des capacités cérébrales (modes de pensées, valeurs) de plus en plus complexes et différentes en fonction des conditions de vie qu’il a rencontrées. “Different times produce different minds”. Spiral dynamics, mastering values, leadership, and change, Don Edward Beck, Christophe C Cowan.
Autrement dit, Il a fait évoluer ses modes de pensées au moment ou ceux-ci ne permettaient plus de répondre aux problématiques rencontrées. Le modèle montre qu’il n’y a donc pas de définition stable de la maturité psychologique mais des définitions successives qui apportent des solutions aux problématiques existentielles : se nourrir, se sentir en sécurité, affirmer sa puissance... Et que ces définitions alternent entre l’expression du soi ou le sacrifice du soi.
Autrement dit (c’est assez complexe pour le dire de plusieurs façons), c’est pour répondre à des peurs que l’humain, toute organisation, système, développe des nouveaux modes de pensées ou capacités cérébrales : peur de mourrir de faim, peur de ne pas trouver refuge, peur d’être victime des autres, peur d’être puni par la vérité ultime, peur de ne pas avoir de statut obtenu par soi-même, etc..
Chaque combinaison des conditions d’existence et modes de pensées associées ont été au cours du temps nommées par des chiffres (de 1 à 6), des lettres, des couleurs.
L’émergence de problématiques
Je n’ai pas tellement envie ici de faire un un focus sur les problématiques que l’on rencontre et qui font évoluer notre mode de pensées mais sur les problématiques que nous rencontrons quand nous utilisons un mode de pensées différent de celui du contexte dans lequel on débarque.
J’ai vécu récemment (du moins c’est mon analyse), des situations dans lesquelles, et à la lecture de la Spirale dynamique, j’ai invité les groupes que j’accompagnais à activer des capacités cérébrales, c’est à dire à apporter des solutions en inadéquation avec les conditions d’existence dans lesquelles évolue le groupe. Autrement dit, et en utilisant les acronymes utilisés à l’origine par le professeur Graves, en créant par exemple des situations DS (conditions de vie BLEU et capacités cérébrales VERT). “Recherche de pouvoir ou sincère altruisme, nous avons tendance à vouloir amener les autres à notre niveau de la Spirale dynamique, même si celui qu’ils utilisent est adapté à leurs conditions de vie.” La Spirale dynamique, Fabien Chabreuil, Patricia Chabreuil (p:139)
Hors, “Il est utile de savoir activer le niveau d’existence le plus approprié à notre environnement. Mettre en oeuvre un niveau qui serait adapté à un monde plus complexe serait contre-productif.” La Spirale dynamique, Fabien Chabreuil, Patricia Chabreuil (p:28)
Leo Gura, qui s’est passionné pour le modèle et le détaille dans de longues vidéos, explique que les gens sont réceptifs à des mots qui font écho à leur système de valeurs et modes de pensées. Car l’humain cherche avant tout à renforcer son sytème de valeurs plutôt qu’à le changer ou à réfléchir à ses limites.
Ces postulats m’ont donné envie de créer une grille de lecture évolutive des groupes ou des personnes que je rencontre afin d’adapter ma posture en fonction de leur couleur dominante.
Ma grille de lecture
Elle n’est pas terminée. Mais elle pose déjà quelques garde-fous.
Je ne me suis pas attardée sur les niveaux d’existence beige, violet car ce ne sont plus des niveaux dominants dans nos cultures. Mais ils restent présents en chacun de nous comme le propose la structure holarchique de la spirale dynamique “chaque système de valeurs émerge quand les conditions de vie le rendent nécessaire, sans pour autant faire disparaître les précédents” La Spirale dynamique, Fabien Chabreuil, Patricia Chabreuil (p:7). Le niveau d’existence BLEU est estimé représenté à 30%. A égalité avec le niveau orange.
Le niveau d’existence VERT (environ 10% de la population humaine) et les suivants sont émergents voire inexistants, JAUNE (environ 5%).
Cette grille est sur Notion Je le mets en accès public et continuerai de le mettre à jour régulièrement.
https://painted-snowplow-dd6.notion.site/Spirale-dynamique-45f76a74ed984258864848a311e27f52
Conclusion
La spirale dynamique est une invitation à voir l’humanité d’une position méta. Et ce n’est pas un modèle qui essaye de simplifier les choses. Au contraire.
Sans un temps d’observation préalable et pour identifier les modes de pensées, il est difficile de trouver le mode d’intervention adéquat. C’est indispensable de comprendre le mode de pensées dominant dans un contexte que l’on rejoint. Et de connaître également le niveau suivant du modèle. Voire deux. Afin de voir à quoi le groupe résiste.
Ne pas oublier que l’être humain a un mode de pensées qui correspond à plusieurs niveaux du modèle. Influencé par l’éducation reçue, les médias qu’ils consomment, les films qu’ils regardent. Donc chaque niveau décrit dans le tableau peut sembler caricatural. Car peu de personnes ou d’organisations sont uniquement dans un seul mode de pensée.
Mon travail, tel que je le perçois, ne consiste pas à faire évoluer les équipes que j’accompagne d’un mode de pensées à un autre mais plutôt de voir si leur mode de pensées suffit à résoudre leurs difficultés du moment. Et si ce n’est pas le cas, à identifier si les groupes que j’accompagne sont :
coincés (conscients uniquement que leur mode de pensée est le bon),
arrêtés (conscient que des modes de pensées précèdent le sien) ou
ouverts (conscients que des modes de pensées précèdent et d’autres sont à venir. Tous ayant de la valeur). Seule la posture ouverte permettant d’aller vers un changement vertical dans la Spirale dynamique.
Sources :
La Spirale dynamique, Fabien Chabreuil, Patricia Chabreuil
Spiral dynamics, mastering values, leadership, and change, Don Edward Beck, Christophe C Cowan.
Leo Gura, Actualized.org