Trop de complaisance
D’abord une définition. Qu’est-ce que la complaisance ? Disposition d'esprit de celui qui cherche à faire plaisir en s'adaptant aux goûts ou aux désirs de quelqu'un (Larousse). Du latin complacere, de cum, avec, et placere, plaire. Je complèterais par deux métaphores qui me viennent à l’esprit : c’est un peu rentrer dans le moule de l’autre. C’est se mettre de côté pour laisser la place à l’autre.
Pourquoi cherche-t-on à plaire ? Souvent parce que l’on a reçu de nombreux messages dans ce sens pendant notre enfance : “sois gentil, fais moi plaisir”. Pour se sentir accepté, reconnu par un groupe, une personne. Pour éviter le conflit. On a tous une proportion variable à vouloir être dans la complaisance.
Mais je constate aussi que si l’on a été plus ou moins baigné dans ces injonctions enfant, on devient quoiqu’il arrive complaisant dans le monde du travail et des entreprises. On cherche à faire plaisir à son supérieur hiérarchique, à son client, à la Direction. Et cela semble logique vu que ce sont les personnes qui nous évaluent, qui influencent notre carrière, qui décident de nos augmentations.
Mais ce qui me désole c’est quand je vois des gens qui cherchent à tout prix à satisfaire une demande alors qu’elle n’a pas de sens pour eux, pas de valeur pour l’équipe, ou bien pas de lien direct avec l’objectif de l’entreprise. Et si on accuse souvent les managers d’être à côté de la plaque, d’être individualistes, ou sans clarté, ou autre… Cela ne bougera jamais tant que les gens seront complaisants !
Et je me mets dans le lot. Lisez la suite :
Il m’est arrivé, il y a peu de temps, dans le cadre d’une mission de coaching d’équipes, de sortir d’une réunion avec un manager en ayant une énergie au raz du sol et l’envie de rentrer me mettre sous ma couette. J’ai pris un moment pour réfléchir à ce qui venait de se passer. Essayer d’associer une explication à cette sensation d’étouffement. Et j’ai découvert, que lors de cet échange, je n’avais fait preuve que de complaisance. Et en prenant un peu plus de hauteur, je réalisais avec HORREUR que j’étais à 80% de mon temps dans la recherche de l’adhésion de l’autre. Et donc 20% de mon temps authentique.
Au début je me dédouanais en me disant que cette attitude était bénéfique pour créer une relation, élément important dans un coaching. Mais je réalisais alors que j’avais pris une mauvaise route. L’écoute, l’empathie, la reconnaissance de ce que subit, vit, ressent l’autre est importante. Mais la complaisance ne sert pas à grand chose. Voire nuit. La complaisance c’est adhérer au système de l’autre, ne plus en voir les contours, les non-sens, les dysfonctionnements. A l’échelle d’un groupe c'’est jouer le jeu que tout le monde joue déjà. C’est continuer à essayer ce que l’on ne cesse d’essayer sans résultat.
Je passe mes journées à côtoyer des équipes dans lesquelles les gens cherchent tellement à faire plaisir à leur manager, à leur client, qu’ils deviennent des sortes de cavaliers sans tête. Je vois des gens avoir des idées innovantes, des envies fortes et qui s’empêchent de les activer parce qu’ils ne savent pas si cela va faire plaisir au supérieur. Je vois des consultants, payés chers, qui réalisent des tâches à des milliers d’années lumière de leurs valeurs, croyances, parce que c’est le client qui l’a demandé. Et j’imagine bien que ce comportement est dicté par la peur. La peur de déplaire, de surprendre, d’être différent. Et la peur de perdre son travail, sa mission.
Si ce n’est pas toujours facile d’oser dire, déplaire lorsque l’on est salarié d’une entreprise, c’est presque un non sens lorsque l’on est consultant, prestataire, coach et que l’on nous paye cher pour apporter ce que l’entreprise ne réussit pas ou ne souhaite pas mettre en place d’elle-même.
Faire plaisir va peut-être sauver mes fesses un temps mais quel dommage de ne pas apporter mes idées, mon point de vue, mon ressenti pour laisser la place à l’autre. Personnellement je vois bien qu’en étant complaisante j’ai apporté une satisfaction très court terme à mon client mais accompagner le changement c’est potentiellement DÉPLAIRE, montrer les PROBLÈMES, dire à haute voix ce que personne ne veut entendre.
C’est dur, c’est vrai. Je m’entraîne tous les jours à déplaire. Parfois j’y arrive, parfois je réalise trop tard que ma petite voix intérieure était éteinte. Celle qui questionne, qui doute, qui crée.
Et parfois j’en veux à ceux à qui l’on cherche à plaire. Car c’est tellement simple de voir chez l’autre un non-alignement, un désaccord, un doute. Rien que par le regard. Tout passe dans le regard.
Hier j’ai discuté avec une commerciale de ma société . Elle me parlait d’un client qui voulait qu’on lui envoie un certain nombre de CV de coachs pour qu’il puisse faire son choix et démarrer un chantier de transformation. Ce type de demande me déprime. Un consultant ne devrait pas être choisi pour sa capacité à combler une case vide mais pour le regard qu’il projète sur une problématique donnée. Et en même temps, en étant tous complaisants, n’est-on pas entrain de devenir tous des clones ? Quelque soit le CV que ce client choisira, il aura en face de lui quelqu’un qui cherche à lui faire plaisir. Alors bon…
Au moment où j’écris cet article j’entends quelqu’un de l’équipe d’à côté dire : “ce n’est plus ce que c’était le service !”.
Dans votre vie professionnelle, parmi vos actions que vous nommez “travail”, réfléchissez… Dans quelle proportion êtes-vous dans la complaisance ? Et dans quelle proportion êtes-vous à l’écoute ou l’expression de votre avis, de vos besoins ? Quand vous sortez d’une réunion, jusqu’à quel point avez-vous donné votre avis ou vous êtes-vous rallié à l’avis des autres ?
Géraldine