Feedback personnel : le grand vide
J’entends sans cesse parler de feedback. Le feedback sur le code, l’interface, le produit, l’équipe, l’organisation qui le produit.
Quand je m’interroge sur le feedback, je retombe souvent sur l’article de Christophe qui décrit “en quoi ce mécanisme est-il important et si particulier à la pensée agile”. Et je me suis rendue compte, ces derniers temps, que l’on est prêt à recevoir du feedback sur tout à part sur soi.
Et j’aimerais vous demander depuis combien de temps quelqu’un vous a-t-il fait un feedback sur votre travail ? sur votre attitude ?
AMUSEZ VOUS À COMPTER LES FEEDBACK MANQUÉS
J’ai compté sur les deux derniers mois toutes les fois où j’ai entendu ce que j’appelle “un feedback manqué”. Une personne me dit ce qu’elle pense. Je lui demande si elle en a parlé à l'intéressé. La réponse est systématiquement non.
“J’adore Nicolas, il est brillant mais le seul reproche que je pourrais lui faire parfois, c’est la façon qu’il a d’imposer sa vision des choses.”
“Tu lui en as parlé”?
“Non... “
“J’aime bien Aurélien mais je trouve qu’il est trop dans le contrôle”.
“Tu lui en as parlé ?”
“Non...”
“J’aime beaucoup ce que fait Bertrand mais je trouve qu’il s’y prend mal. Il devrait commencer par parler à la personne qui entretien le problème dans l’équipe”.
“Tu lui en as parlé?”
“Non !!”
Sur deux mois, j’ai comptabilisé 10 feedback manqués au sein de mon équipe et de son environnement proche, soit à peu près une vingtaine de personnes. 10 occasions manquées d’aider les gens autour de soit à s’améliorer.
Et c'est d'autant plus le cas pour les managers auxquels on n’en fait jamais assez, comme me le glisse Michel lors dune soirée entre amis avec son bel accent canadien. Il ajoute : « Ils n’en veulent pas. Ils ne reçoivent aucune information. C’est beaucoup plus courant au Canada. ».
Cela m'est également confirmé par Julie, française expatriée au Canada qui me dit : “après 5 ans ici, je suis super à l'aise à recevoir des compliments et à en faire. Ça change vraiment l'état d'esprit au bureau je trouve, il y a une sorte d'émulation positive entre collègues”. On peut donc prendre le pli. Ce n’est pas une malédiction.
Mais tout n’est pas si simple.
LE FEEDBACK POSITIF REND VULNÉRABLE
Le même Michel me confirme que les français n’aiment pas donner de feedback positif car ils n’aiment pas exposer leur vulnérabilité. Ce n’est pas dans leur culture d’après lui. D’ailleurs, pas de traduction française appropriée. Un “retour d’information” ? (Il y en a une mais personne ne va la comprendre : "rétroaction".)
Effectivement de mon point de vue aussi le feedback positif est trop souvent jugé fleur bleue.
FEEDBACK NÉGATIF
Je demande à Julie : "Et le feedback négatif chez vous les bisounours ?"
Elle me répond que "le feed-back ici est TOUJOURS (ou à 90%) positif. Ce n’est vraiment pas courant de donner du feed-back négatif. Par exemple, au cours d'un exercice de planning stratégique, on devait analyser nos projets, non pas sous l'angle "forces / faiblesses", mais sous l'angle "plus / delta". Donc dans les faits c’est le même exercice, sauf qu'ici on nous demande de trouver les forces (le plus) .... Et les pistes d'amélioration! (Le delta, ce qu'on pourrait mieux faire) l'approche est très différente."
ACCUEILLIR LE FEEDBACK
J’aime bien cet article qui raconte que le feedback sera bien accueilli et bénéfique si l’on arrive à “parler au prince”. Cet état d’esprit que chaque personne peut avoir si tant est que l’on tombe au bon moment. Un état d’esprit qui permet le recul et l’analyse.
Parler au Prince c’est “parler à la partie de l'autre capable de générer l'énergie et les solutions pour progresser, c’est-à-dire à son prince. Et pour faire cela j'ai également besoin d'aller chercher le prince chez moi.”
FEEDBACK MALHEUREUX (SAVOIR FAIRE DU FEEDBACK)
Revenons en France. Vendredi. J’entends Marc et Julien, 2 personnes de mon équipe choquées par le code d’une autre personne. Je leur dis : “vous en avez parlé à l’auteur du code ? Vous savez, c’est important de se faire du feedback. Les gens viennent ici pour progresser. Moi en tant que scrum master, j’aimerais que mes pairs me disent quand ils pensent que je pourrais faire mieux mon job ou différemment”.
Marc va voir Lucas et lui dit “au rapport, on a quelque chose à te dire”.
Lucas se rapproche de Marc qui lui montre une page de code et dit “pourquoi t’as fait ça comme ça ?”
…
Forcément ça ne donne pas grand chose de positif.
Lucas s’est probablement senti très mal à l’aise et n’aura plus jamais envie de discuter de son code avec n’importe qui de l’équipe.
Je ne sais pas. Peut-être que je me trompe. Je ne suis pas et n’ai jamais été développeur. mais les développeurs sont des humains. Et humainement, recevoir un “Pourquoi t’as fait ça comme ça” c’est dur.
Finalement Lucas va corriger son code. Je me trompe peut-être…
UNE FAÇON DE DONNER DU FEEDBACK ?
Je ne sais plus si cela vient de la communication non violente ou si je l’ai lu dans “les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus” ? Mais exprimer un feedback négatif en parlant à la première personne est mieux reçu, en se mettant soi-même en vulnérabilité. Par exemple ici, le scrum master à son équipe en rétrospective : “Je suis mal à l’aise parce que l’on vient tout le temps me voir au sujet de votre implication et je n’ai pas envie de répondre à votre place”.
Il y a aussi le fameux feedback sandwich tres américain. Lorsque vous avez l’intention de faire un feedback négatif à une personne, l’accompagner d’une remarque positive et sincère rendra l’acte beaucoup plus efficace.
Il y a des méthodes pour favoriser le feedback dans une équipe. Ce type de rétro par exemple : "360 degrees appreciation". Je l’ai testée une fois. En sortant de la salle, l’équipe était gonflée à bloc et m’a remercié d’avoir proposé cette exercice.
En revanche ne forcez rien, j’ai déjà tenté le “Tiens, va voir Olivier… Il a un feedback à te faire”. Très risqué. Je ne recommande pas.
Voilà, je souhaitais souligner un grand vide sur le feedback personnel dans nos sociétés françaises.
Le feedback il faut savoir le donner, le recevoir, le proposer au bon moment, avec les bonnes formulations. Allez-y lancez vous : aller voir la personne la plus proche de vous et demandez lui un feedback, maintenant.
Interrogez vous, Quelle est la dernière fois que vous avez reçu un feedback de votre manager ? De votre équipe si vous êtes manager ? De votre collègue d’à côté ? Ou même de votre mari ? De vos enfants ? Une fois que l’on a passé le “ridicule” de la question : “dis moi ma puce, comment tu me trouves comme maman ?”, on découvre des choses passionnantes qui nous font grandir.