Mes équipes ne font pas ce que je leur demande (3/3)
Suite et fin de cette série d’interviews réalisée dans le but de rebondir sur une problématique que je sens récurrente chez les managers : “mes équipes ne font pas ce que je leur demande”. J’ai interviewé Pablo Pernot pour son rôle de dirigeant chez BeNext.
GG : Quand tu as envie d'emmener une de tes équipes dans une direction, (exemple : tu aimerais qu'ils définissent des objectifs et qu'ils mesurent régulièrement où ils en sont), comment tu t'y prends en tant que manager ?
PP : Ce que tu évoques d'abord c'est la direction, c'est le sens. J'ai la conviction qu'il faut clarifier et expliquer constamment le sens de notre action. Le pourquoi. Et surtout le répéter, le répéter, le répéter. Constamment. Et de plein de façons différentes, car certains sont sensibles à des mots, et d'autres à d'autres mots, certains préfèrent les dessins, d'autres les gestes, ou encore d'autres les schémas. Il faut répéter répéter répéter ce sens, et l'incarner, sinon c'est absurde.
Au regard de ce sens, nos actions peuvent prendre mille formes tant qu'elles vont dans la bonne direction et qu'elles respectent notre cadre (nos valeurs).
Quand ceci est clarifié je crois que c'est beaucoup plus facile de savoir si les choses avancent. Cela ne me dérangerait pas de dire que c'est évident si cela avance ou pas. Il y a des faits, mais aussi des attitudes. Naturellement ils peuvent eux-mêmes proposer une série de métriques qui peut aider à avancer. Des objectifs "smart" (mesurables, atteignables, etc). Par exemple dans nos cercles gothamocratiques (notre version héritée de la sociocratie et de l'holacratie), chaque cercle propose lui-même des métriques "smart".
Aussi chaque cercle se voit rappeler son sens dans cet ensemble plus global qu'est beNext, et nous proposons aussi une série de questions que le cercle utilise en ouverture de réunion pour soutenir l'introspection du groupe. Par exemple : est-ce que le cercle génère de la valeur ?
GG : Comment tu t'assures qu'ils vont faire ce sur quoi ils se sont engagés ?
PP : Je ne peux pas m'en assurer. Je ne peux qu'observer, clarifier le cadre, les aider. Et si ils arrivent, les féliciter et essayer d'apprendre de cette aventure, et si ils n'y arrivent pas, nous en rendre compte assez tôt, et savoir en tirer des enseignements. J'ai besoin d'en connaître les raisons. Elles sont très souvent valables. Des fois c'est la personne cependant qui n'a pas assez de discipline et je dois avoir moi-même la discipline de l'accompagner et de l'aider à grandir, surtout si il en a bien l'intention. Et très très rarement je tombe sur des personnes qui sabotent consciemment et dont l'intention est mauvaise. Là je préfère arrêter de travailler avec ces personnes, la vie est bien trop courte.
GG : Comment est-ce que tu interviens auprès de l'équipe si le sujet n'avance pas ?
PP : On s'interroge, on clarifie, on fouille d'autres pistes qui nous conduiraient au même résultat, on imagine d'autres façons, on imagine de l'aide de telle ou telle personne. Idéalement c'est eux qui font cette action d'amélioration d'introspection. Je peux venir les aider. Si c'est impossible à réaliser, ou si cela n'apporte pas la valeur imaginée par nos hypothèses on acte qu'il faut arrêter cette piste. On n'abandonne pas trop vite, c'est souvent une question de rigueur, de discipline. Mais il faut faire attention de ne pas abandonner trop tard non plus. Et il ne faut pas donner un objectif trop élevé à quelqu'un. Ils doivent grandir, lui, les objectifs, au fil du temps.
C'est aussi une tâche très importante du manager que d'avoir une constante introspection.
GG : en gros, comment tu expliques que des équipes font ou ne font pas ce qu'on leur demande de faire ?
PP : J'observe que assez souvent il n'y a pas de discipline des managers. Leurs propos ne sont pas clairs car ils répètent eux mêmes ce qu'on leur a dit sans y adhérer profondément. J'observe qu'ils n'incarnent pas eux-mêmes ce qu'ils demandent à leurs équipes. Qu'ils ne se mêlent pas assez aux gens, aux joies, aux réussites, aux échecs, aux engueulades, etc.
Les équipes font quand elles en ont compris le sens et que le manager l'incarne et le communique quotidiennement, et avance avec elles dans les réussites et les échecs.
Les équipes ne font pas quand le sens n'est pas clair et que le manager ne l'incarne pas, ne le communique pas, et n'est pas présent avec elles.
GG : Pour conclure, qu'est-ce que tu conseilles aux managers qui sont bloqués dans une telle situation ?
PP : Bloqués par quoi ? Que leurs équipes ne fassent pas ce qu'ils demandent ?
D'abord je les interrogerais pour être sûr que eux-mêmes fassent ce qu'ils ont envie de faire dans un cadre et une direction donnés par leurs propres chefs (d'où le besoin de souvent remonter en "haut de la chaîne alimentaire :)" ). Il est indispensable de croire à ce que l'on fait avant même de pouvoir entraîner les autres avec soi. Je ne dis pas que l'on doit tout aimer, que tout sera délicieux, je ne suis pas fleur bleue, il y aura de la gadoue, cela va être sale comme une écurie, et sentir comme dans un vestiaire. Mais si on avance dans la direction dans laquelle on aime avancer, on aime de temps en temps cette gadoue, on aime de temps en temps ce fatras, on aime de temps en temps cette odeur. Ils doivent donc croire en ce qu'ils font (cela n'exclue pas les erreurs et les échecs).
Ensuite il convient d'incarner ce à quoi on croit. En faisant, en accompagnant, en aidant, en allant dans cette même direction, en respectant ce même cadre.
Puis pour que les autres sautent dans le même bateau il faut clarifier cette direction, ce sens, ce pourquoi, et le cadre (ce que l'on peut faire et ne pas faire sans étouffer l'espace des possibles). Et encore clarifier, incarner, communiquer, s'interroger sur sa posture, clarifier, incarner, communiquer, s'interroger sur sa posture, il faudrait l'écrire mille fois. Si on aime pas cela, autant ne pas être manager. Si on ne croit pas en ce que l'on fait, si on n'y prend jamais de plaisir, autant changer de contexte.